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samedi 20 avril 2013

Chronique AaOo #1 : Fausse impression et vraie déprimante.



Bonjour à tous,

Qui n'a jamais rêvé de ne plus avoir à courir les magasins chaque fois qu'une poignée de porte se brisait entre nos mains trop dure, qu'une cuillère venait à manquer au moment de recevoir ou qu'une vis faisait défaut pour accrocher la nouvelle création artistique du petit.
Lequel d'entre nous, pauvres mortels, n'a pas souffert le martyre chaque fois qu'il lui a été donné de constater que le "Just do it yourself", comme le dise les anglophones en nous faisant la Nike, n'était finalement destiné qu'à engraisser ceux qui produisent plutôt qu'à faciliter la vie de ceux qui achètent et qui dorénavant doivent également construire.

Ce temps est révolu mes biens chers frères consommateurs car la machine qui va ébranler le monde est déjà là, et elle attend patiemment d'être prise fermement en main par les ouvriers de tous les pays comme la première des péripatéticiennes portuaires venues, se languissant sur les tonneaux de rhum flétris, et attendant que les pirates esseulés par huit mois en mer viennent se consoler auprès de ses bras malingres et gangrenés...Bon, va vraiment falloir que j'arrête là parce que je commence à m'exciter tout seul.

L'imprimante en trois dimensions existe, je l'ai rencontré! Comment, jeune lecteur inculte et néanmoins passionné, tu ne sais pas ce que c'est qu'une imprimante en trois dimensions? Pour toi, qui sait, peut-être est-ce évident qu'une imprimante, comme tout objet existant dans notre univers, est en trois dimensions et que tu ne vois pas ce qu'il y a d'extraordinaire dans cette sentence? Mon jeune ami, comme ta candeur me délecte et me rappelle soudain l'ignorance de mes années folles. Je parle bien évidemment du produit de ce mécanisme bougre d'âne.

Cette imprimante ci ne se contente pas de cracher mécaniquement une encre synthétique par le biais de buses propriétaires sur un papier à fort grammage hors de prix, non! Elle, elle pratique des dépôts de matières avec une élégance rare, perfore et biseaute comme un sculpteur florentin au temps de la renaissance et t'offre, clé en main, un double de celle de ton d'appartement, en polystyrène expansé, et pour moins de 10 fois le prix qu'elle t'aurait coûté chez le cordonnier du coin mais attention, sans bougé de chez toi!

Ha, je sens bien que, comme moi tu entrevois les possibilités infinies que pourrait apporter une telle technologie si tout les foyers de France s'en équipaient. Tu commences à comprendre les implications qu'auraient la machine à tout faire au service du pue-la-sueur qui, au lieux de fabriquer des pièces de moteur, à une cadence infernale et pour un salaire de misère, au risque de les rendre défectueuses, pourra les bousiller lui-même en les produisant chez lui sous l'égide de la toute puissante auto-exploitation, euh, je veux dire de l'auto-entreprise!

Enfin nous pourrons vivre le grand soir où nous nous affranchirons, respectivement dans la colle et sur le papier, du carcan moderne que représente le salariat, pour mieux embrasser à bras ouverts l'esclavagisme du futur, dans lequel l’homme ne sera plus un loup pour l’homme d’à côté mais pratiquera sans complexe l’auto-cannibalisme. Grâce à l’imprimante tridimensionnelle, l’ouvrier bricolera lui-même la cage qui l’encerclera avec, à tout moment, l’opportunité d’en forger la clé et de la jeter à travers les barreaux.

Et si vous n’étiez pas encore convaincu par tant de cette félicité à venir, sachez que, d’ores et déjà, il existe une machine de haut de gamme qui est capable de reproduire l’ensemble des pièces qui la compose. Ainsi, si le travailleur libre en a assez de bûcher sans contrainte toute la journée, de cinq heure à minuit, il pourra investir un temps supplémentaire pour fabriquer une copie conforme de sa machine afin doubler sa capacité de production.

Bien sûr, ceci risque, au premier abord, d’également doubler son temps de travail. Mais qu’importe, s’il invite un collègue pauvre... pardon, un collègue ouvrier à participer à son auto-entreprise, ce dernier pourra alors profiter de la machine à moindre frais et n’aura qu’à verser au premier une part de son revenu de production jusqu’à avoir rembourser son outil. Et si jamais la demande se fait pressante, rien n’empêche les deux collaborateurs de convenir d’agrandir la société, à condition, sans doute, que le dernier arrivé dispose d’un pouvoir de décision subalterne, du moins jusqu’à ce qu’il soit pleinement propriétaire de sa mécanique.

Et puis, de toute façon, tous le monde ne parle que de produire local, voilà la solution que diable! S’il ne faut faire qu’un tout petit sacrifice de rien du tout, je suis convaincu que celui qui devra diriger son auto-entreprise locale voudra bien faire l’effort au même titre que l’auto-salarié n’est-ce pas? Prenons cette affaire à bras le corps, amigos!

Nous pouvons tous agir pour mettre fin à la globalisation sans borne et au capitalisme transnational oppresseur pour enfin revenir à une économie locale, plus humaine, responsable et surtout, plus rentable. L’imprimante 3D est notre faucille et notre marteau, l’émancipation par la technologie notre credo, et c’est ensemble, et seulement ensemble, que l’on écrasera les chinois. Prolétaires de tout mon quartier unissons-nous!
A bon électeur, salut!


Chronique publiée dans le second numéro du magazine AaOo intitulé "Dual duo" p.66.
AaOo est un magazine trimestriel d'images et de mots faisant suite à la revue Sang d'Encre dont la couverture est en en-tête de la chronique. Si vous souhaitez vous y abonner (et je vous y invite) vous pouvez le faire ici : http://www.ancree.fr/commande.php

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