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samedi 20 août 2011

Marché ou rêve.


Bonjour à tous.
Ca y est c'est le retour au bercail après des vacances éprouvantes sous un soleil de plomb qui n'avait rien à envier aux bâtisses syriennes criblées des balles fratricides qui seules savent faire la différence entre une émeute et une révolution.

Haaa... Bon dieu, qu'il est bon de rien faire pendant que le monde s'étripe et que le monde s'étripe sans que l'on n'en ait rien à faire. Mais trêve de poésies, les voyages ça creuse, le petit déj' est déjà loin, et comme il se doit en ces retours de vacances, le frigo est plus vide qu'un ordre du jour de sommet franco-allemand où les deux mètres cinquante, aux manettes de la locomotive rouillée qui tire l'Europe bon gré mal gré, sont encore en train de se demander comment on freine, alors que le train a déraillé au dernier virage et joue les équilibristes au dessus d'un ravin Tex Averytesque, ne laissant à ses passagers que le choix de mourir noyés, emportés par le poids du wagon qu'ils occupent, ou bien de se faire dépecer vivant par les requins en costard blanc de la finance qui guettent la chute des premiers imbéciles voulant vérifier s'il était possible d'enfreindre la loi de la gravitation universelle. La loi de l'apesanteur est dure mais c'est la loi.
Bref, en ce dimanche peu de temps avant midi, me voici contraint de suivre instinctivement mes besoins les plus primaires dictés par mon estomac en souffrance, et de me rendre aux diverses épiceries fines jouxtant mon logis pour y chasser les croissants sauvages et les chocolatines des bois qui combleraient avantageusement le creux qui me taillade la ventrière. Or, nous sommes le jour du seigneur chrétien et les tenanciers de ces échoppes sont farouchement non-arabe. J'entends par là qu'ils préfèrent manger du jambon pas hallal entre deux verres de rouge, plutôt que de tenter de détrôner leur tyran dans le sang et en vain comme tout bon maghrébin qui se respecte, et mettent un point d'honneur à profiter d'un jour de repos par semaine. Du coup, les pourvoyeurs de bouffe sous cellophane dorment encore du sommeil du juste tandis que je me tords de douleurs stomacales devant la froide grille de métal protégeant la vitrine du magasin alimentaire.
A présent je sais ce que peux ressentir un enfant somalien famélique devant un dépôt ONUsien blindé ras la gueule de riz Basmati et gardé par des Casques Bleus attendant patiemment la fin d'un copieux repas au conseil économique et social pour que ces messieurs bien mis leur donne l'ordre de distribuer les denrées rationnées tant attendues. N'y tenant plus, je me fais violence et me dirige guilleret vers le marché en plein air que je côtoie hebdomadairement pour y faire les emplettes susceptibles de soigner mes intenables borborygmes.
Les rues sont désertes et l'air du matin laisse petit à petit la place à la lourdeur d'un ciel d'orage providentiel. Aux abords du marché, la tension monte. Le brouhaha caractéristique de la place me semble soudain quelque peu exagéré. Les gens qui m'entourent ont une mine défaite et l'atmosphère se fait de plus en plus pesante. Je ne prête pas immédiatement attention à ce sentiment oppressant que j'attribue au fait d'avoir passé les deux dernières semaines dans un cocon loin des tracas du monde et des foules compactes, et je m'enfonce tant bien que mal en direction des étalages de légumes.
Arrivé en face de mon maraîcher habituel, je remarque que ce fier paysan aux mains caleuses a troqué son tablier bleu et sa trogne méridionale trouée par le mauvais pinard contre un complet noir cravate rouge, mocassins cirés et une peau tellement tirée qu'on aurait pu y faire du trampoline. Ignorant le nouveau goût vestimentaire de ce rude travailleur de la terre, je pousse du coude les badauds particulièrement nombreux et vindicatifs pour voir quelles promotions justifiaient l'exaltation de ces clients potentiels.
Aussi étrange que cela puisse paraître, les cageots et les planches branlantes, réceptacles usuels des choux fleurs et des bananes importées, étaient désespérément vierges de toute nourriture. Devant moi, en revanche, s'étalaient des monceaux de papiers filigranés semblant attiser la convoitise des cinquante crieurs qui me soufflaient dans le dos.
Je marquai un temps d'arrêt pour vérifier que je n'avais pas confondu l'étal du vendeur de journaux avec celle de mon légumier. Non, impossible, le drap de plastique tendu derrière le propriétaire annonçait fièrement : « Dupont et fils, les bons légumes d'antan ».
Eberlué mais résolu à l'achat d'un kilo de tomates fraîches, je me mis à héler le commerçant pour obtenir satisfaction :
« Hé, fis-je.
-Qu'est-ce qu'il lui faut au petit monsieur? me hurla-t-il de l'autre bout de sa boutique de fortune.
-Bonjour, risquai-je en m'égosillant, à combien elles sont vos tomates? »
Ma question sembla jeter un froid sur l'assemblée et tout le monde se mit à me dévisager avec des yeux noirs de fatigue.
L'un des zombis me prit par le bras. Il avait l'air pas bien, complètement défroqué avec au visage une expression entre la folie
paranoïaque et l'excitation exaltée :
« Vous voulez des tomates? J'ai des tomates de ce producteur, vous êtes prêt à les acheter à combien?
-Mais j'en sais rien! Foutez-moi la paix, lui rétorquai-je en me dégageant. Qu'est-ce qui vous prend à la fin? »
Une rumeur s'installa. Le bruit fit place au silence et le silence aux murmures comploteurs. « Un acheteur, un vrai! » lança à voix haute et sur un ton incrédule l'un des fous comme s'il voyait en moi un improbable messie.
Soudain, ils se jetèrent tous sur moi en tentant de me vendre leurs bouts de papiers usés sur lesquels je parvins à lire « Titre d'obligation ».
Je fus rapidement dépouillé de mes maigres euros pour me retrouver les mains pleines de papiers insipides.
Je parvins à me dégager de ces vampires assoiffés de liquidité et à quitter le lieux, la faim au ventre, la peur du lendemain en poche et la sensation au coeur de m'être fait spéculer par tout les orifices.
Sur le chemin du retour, un politicien posa une main moite sur mon épaule en me disant qu'il ferait tout pour réguler les institutions légumières en interdisant pendant deux semaines la titrisation à perte sur les ventes de kiwis.
Je pris congé pour soulager mon estomac des spasmes provoqués par l'ingestion des tickets modérateurs acquis plus tôt pour soulager ma fringale, en me jurant que plus jamais je ne voterai blanc aux élections présidentielles.

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